Non-déclaration d’un chantier par un architecte

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Sous la responsabilité de David NOGUÉRO
Professeur à l’université René Descartes (Paris 5)

Jean ROUSSEL
Directeur du Centre d’Études d’Assurances (CEA) Chargé d’enseignement à l’université de Paris 2 et à l’Institut des Assurances de Paris (IAP)

et Cyrille CHARBONNEAU
Docteur en droit, Chargé de Cours aux universités de Paris V et d’Aix-en-Provence, Professeur à l’ICH de Paris, membre du GREDIAUC, Avocat associé, Cabinet AEDES JURIS

Sanction encourue en cas de non-déclaration d’un chantier par un architecte : l’inadaptation de l’article L. 113-9 du code des assurances

« 1°/ M. [C] [O],

2°/ Mme [S] [N], épouse [O], domiciliés tous deux [Adresse 3],

ont formé le pourvoi no V 21-15.420 contre l’arrêt rendu le 18 février 2021 par la cour d’appel de Douai (chambre 1, section 2), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [W] [Y], domicilié [Adresse 4],

2°/ à la société Mutuelle des architectes français (MAF), société d’assurance à forme mutuelle, dont le siège est [Adresse 2],

3°/ à la société Wallyn, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de M. et Mme [O], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [Y] et de la société Mutuelle des architectes français, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Wallyn, et l’avis de M. Brun, avocat général, après débats en l’audience publique du 29 mars 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, MM. Jacques, Boyer, conseillers, Mmes Djikpa, Brun, conseillers référendaires, M. Brun, avocat général, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1.  Selon l’arrêt attaqué (Douai, 18 févr. 2021), M. et Mme [O] (les maîtres de l’ouvrage) ont confié à M. [Y] (l’architecte), assuré auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), la maîtrise d’œuvre de l’aménagement d’une grange.

2. Les lots gros œuvre, revêtements de sols et murs ont été confiés à la société Wallyn.

3. Dès le début des travaux, des désordres sont apparus sur les fondations des murs conservés et sur les nouvelles fondations.

4. Les maîtres de l’ouvrage ont saisi le conseil régional de l’ordre des architectes le 8 novembre 2010, puis ont assigné l’architecte devant le juge des référés le 13 décembre 2010 aux fins d’expertise. La réunion devant l’ordre des architectes a, alors, été annulée.

5. Après l’expertise, les maîtres de l’ouvrage ont assigné l’architecte, la MAF et la société Wallyn aux fins de réparation de leurs préjudices. »

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Énoncé du moyen

6. M. et Mme [O] font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes formées contre la MAF, alors « que lorsque l’application de l’article L. 113-10 du code des assurances est stipulée dans un contrat d’assurance, elle est exclusive de l’application de l’article L. 113-9 dudit code ; qu’en l’espèce, l’article 8.2.1.2 des conditions générales de la police d’assurance stipulait au titre des « sanctions relatives à la non-fourniture des déclarations d’activité professionnelles » qu’à défaut de déclaration des activités, et après mise en demeure, « l’assuré peut mettre en recouvrement une cotisation forfaitaire qui s’élève à 150 % de la cotisation ajustée l’année précédente ou de la cotisation provisoire acquittée lors de la souscription » ; qu’en s’abstenant totalement de rechercher si ce mécanisme, sans faire expressément référence à l’article L. 113-10 du code des assurances, ne prévoyait pas une sanction reprenant en substance le mécanisme prévu par ce texte, ce qui aurait exclu que l’assureur puisse se prévaloir de la règle de la réduction proportionnelle d’indemnité prévue par l’article L. 113-9 du même code, quand bien même celle-ci était stipulée dans le contrat, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 113-9 et L. 113-10 du code des assurances, ensemble l’article 1134, devenu 1103, du code civil. »

Réponse de la Cour

7. La cour d’appel, devant laquelle M. et Mme [O] n’ont pas soutenu que le contrat, sans faire expressément référence à l’article L. 113-10 du code des assurances, prévoyait une sanction reprenant en substance le mécanisme prévu par ce texte, ce qui aurait exclu que l’assureur puisse se prévaloir de la règle de la réduction proportionnelle d’indemnité prévue par l’article L. 113-9 du même code, n’était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée.

8. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision. »

Sur le deuxième moyen, pris en sa quatrième branche

Énoncé du moyen

9. M. et Mme [O] font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes formées contre la MAF, alors « qu’en présence d’une clause ayant pour effet de priver de garantie l’architecte qui, par erreur a déclaré que la valeur d’un chantier était de 0,00 euros, commet une faute de nature à engager sa responsabilité civile l’assureur qui délivre une attestation d’assurance avant que la déclaration régulière de chantier qui conditionne la garantie n’ait été effectuée ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a elle-même constaté que la MAF avait délivré à M. [Y] une attestation d’assurance dans le cadre du chantier des époux [O] ; qu’en s’abstenant totalement de rechercher s’il n’en résultait pas qu’elle avait ainsi engagé sa responsabilité civile à l’égard des exposants, qui s’étaient fiés à cette déclaration, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

10. La cour d’appel, devant laquelle M. et Mme [O] n’ont pas soutenu que l’assureur avait engagé sa responsabilité délictuelle pour avoir délivré une attestation d’assurance avant que la déclaration régulière de chantier qui conditionne la garantie n’ait été effectuée, n’était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée.

11. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision. »

[…] Et sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche

Énoncé du moyen

23. Les maîtres de l’ouvrage font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes contre la MAF, alors « qu’en cas de déclaration inexacte du risque par l’assuré de bonne foi, découverte après la réalisation du sinistre, l’indemnité est réduite en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues, si les risques avaient été complètement et exactement déclarés ; que cette réduction proportionnelle doit s’apprécier au regard de l’ensemble des risques déclarés par l’architecte pendant la période d’assurance, et non chantier par chantier ; qu’en retenant à l’inverse qu’« une déclaration pour un montant égal à zéro équivaut à une absence de déclaration et justifie l’absence de garantie » et en appréciant ainsi la réduction proportionnelle d’indemnité au regard du seul chantier des époux [O], la cour d’appel a violé l’article L. 113-9 du code des assurances.

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

24. La MAF conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que le grief est nouveau.

25 . Cependant, le grief, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, est de pur droit.

26. Le moyen est donc recevable. »

Bien-fondé du moyen

Vu l’article L. 113-9 du code des assurances :

27. Il résulte de ce texte qu’en l’absence de déclaration de la mission et de paiement des primes afférentes, l’indemnité due par l’assureur doit être réduite en proportion du taux de la prime annuelle payée par rapport à celui de la prime qui aurait été due si la mission avait été déclarée.

28. Le contrat d’assurance ne peut déroger à ces dispositions d’ordre public en prévoyant un autre mode de calcul de la réduction proportionnelle.

29. Pour rejeter les demandes formées par les maîtres de l’ouvrage contre la MAF, l’arrêt retient que l’article 5.2 des clauses générales du contrat d’assurance et l’article L. 113-9 du code précité rattachent expressément l’obligation de déclaration à chaque mission et réduisent l’indemnité en proportion des cotisations payées pour la mission inexactement déclarée, l’absence de déclaration équivalant à une absence de garantie.

30. Il retient, ensuite, qu’une déclaration pour un montant égal à zéro équivaut à une absence de déclaration et justifie l’absence de garantie.

31. En statuant ainsi, alors que la réduction proportionnelle de l’indemnité due au tiers lésé ne pouvait se calculer d’après le rapport entre les cotisations payées pour la mission inexactement déclarée et les cotisations qui auraient dû être payées pour cette mission, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

Mise hors de cause

32. En application de l’article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société Wallyn, dont la présence n’est pas nécessaire devant la cour d’appel de renvoi. »

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

Casse et annule, mais seulement en ce qu’il déclare irrecevables les demandes présentées par M. et Mme

[O] contre M. [Y] et en ce qu’il rejette les demandes de M. et Mme [O] contre la Mutuelle des architectes français, l’arrêt rendu le 18 février 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Douai […] ».

Observations

Comme les lecteurs de la revue ont eu l’occasion de le constater, la sanction attachée à la non-déclaration d’un chantier par un architecte au titre de son assurance de responsabilité professionnelle a donné lieu, en particulier durant la période récente, à une jurisprudence particulièrement nourrie. Plusieurs analyses doctrinales approfondies ont d’ailleurs été consacrées au sujet (1).

Parmi les nombreuses décisions rendues au cours des dernières années, on retiendra tout particulièrement un arrêt de la troisième chambre civile en date du 27 juin 2019 (2), qui a fait l’objet d’une large diffusion (3) et semblait destiné à fixer le droit positif quant au sort de la garantie en l’absence de déclaration d’une mission (4). Selon cet arrêt, le contrat d’assurance peut mentionner que toute omission ou déclaration inexacte donne droit à l’assureur « conformément à l’article L. 113-9 du code des assurances » (sic) de réduire l’indemnité en proportion des cotisations payées par rapport aux cotisations qui auraient été dues pour une mission si elle avait été complètement et exactement déclarée. Et la Cour d’ajouter qu’en cas d’absence de déclaration, la réduction proportionnelle « équivaut » donc à une absence de garantie.

L’arrêt commenté constitue un revirement partiel au regard de ces principes affirmés en juin 2019 (5).

Plus précisément, il comporte, sur le terrain du droit des assurances, trois affirmations qui méritent d’être notées, même si elles sont d’importance inégale.

Les deux premières constituent de simples rappels de solutions admises antérieurement.

Ainsi, en ce qui concerne les domaines d’application respectifs des articles L 113-9 et L 113-10 du code des assurances (pt 7 de l’arrêt), la Cour se contente d’affirmer que, si une clause du contrat d’assurance, même sans faire expressément référence à l’article L. 113-10, avait prévu une sanction reprenant en substance le mécanisme prévu par ce texte, c’est-àdire l’application d’une surprime de 50 % calculée sur la prime omise, l’assureur n’aurait pu se prévaloir de la réduction proportionnelle prévue par l’article L 113-9 (6). Le moyen est néanmoins rejeté au motif que les demandeurs n’avaient pas soulevé cet argument devant les juges du fond.

En ce qui concerne la possible responsabilité délictuelle engagée par l’assureur à l’égard du maître d’ouvrage pour avoir émis une attestation d’assurance avant que la déclaration régulière de chantier qui conditionne la garantie n’ait été effectuée (pt 10 de l’arrêt), la Cour en réaffirme également le principe (7), mais rejette la prétention des maîtres d’ouvrage, là encore pour ne pas avoir soutenu cet argument devant la cour d’appel.

En revanche, en ce qui concerne la mise en oeuvre de la réduction proportionnelle (pt 27 à 31), la Cour censure les juges du fond, affirme le caractère d’ordre public de l’article L. 113-9 du code des assurances et, prenant le contrepied de l’interprétation reproduite ci-dessus, décide que la réduction doit se faire en proportion du taux de la prime annuelle payée par rapport à celui de la prime qui aurait été due si la mission avait été déclarée.

Quant aux modalités de calcul de la réduction proportionnelle, cette interprétation constitue en quelque sorte un retour aux sources, en tout cas aux solutions traditionnellement retenues par la Cour de cassation. Beaucoup plus conforme au texte de l’article L. 113-9 que celle adoptée en 2019, elle permet de restaurer le caractère d’ordre public de la disposition légale.

Faut-il pour autant s’en réjouir ? Nous ne le pensons pas au regard des inconvénients qu’elle emporte. Finalement, le débat sur les modalités de calcul de la réduction proportionnelle ne fait que souligner combien, sur le principe même, c’est son application en cas d’absence de déclaration d’une mission qui est inadaptée ; combien privilégier alors l’article L. 113-9 par rapport à l’article L. 113-10 du code des assurances constitue, selon la formule du professeur Bigot, une fausse route (8).

La restauration du caractère d’ordre public de l’art L. 113-9

Précisons tout d’abord que la liberté contractuelle s’invite au débat puisque, très systématiquement, ce sont les contrats de la Mutuelle des architectes français (MAF Assurances) qui font l’objet des contentieux et que lesdits contrats prévoient expressément les sanctions encourues en cas d’absence de déclaration d’un chantier. Selon les clauses contractuelles, qui se réfèrent à l’article L. 113-9 du code des assurances mais en donnent une interprétation attachée à la seule mission litigieuse, la non-déclaration d’une mission constatée après sinistre donne droit à l’assureur de refuser toute indemnité, aussi bien à l’égard de l’assuré que du tiers victime.

La question soumise à la Cour de cassation est donc de savoir si cette disposition contractuelle est valable ou doit, au contraire, être vue comme contraire ou non conforme à un texte d’ordre public dont on rappellera la formulation exacte : dans le cas où la fausse déclaration n’a pas été commise de mauvaise foi et est découverte après sinistre, « l’indemnité est réduite en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues, si les risques avaient été complètement et exactement déclarés ».

À notre sens, la rédaction même de l’article L. 113-9 apporte des éléments de réponse à la question posée – mais soulève une autre interrogation.

Une réduction en fonction de la prime annuelle ou de la prime du chantier ?

C’est la question que tranche notre arrêt. En retenant que la réduction proportionnelle ne peut se calculer d’après le rapport de primes au titre de la seule mission concernée, la Cour renoue avec une solution qui avait été adoptée par la première (9), puis par la deuxième (10) chambre civile. La troisième chambre elle-même avait retenu, notamment par un arrêt du 2 décembre 2009 (11), que l’article L. 113-9 ne sanctionne pas le défaut de déclaration d’une mission par une absence d’assurance, mais par la réduction proportionnelle de l’indemnité d’assurance.

À notre sens, le refus d’appliquer la règle proportionnelle au titre du seul chantier concerné est logique. C’est, en effet, la qualification du contrat délivré par l’assureur et son objet qui permettent de clarifier le débat. S’agit-il d’un contrat qui peut être vu comme un simple accord-cadre fixant les conditions dans lesquelles les garanties seront délivrées chantier par chantier, autrement dit d’un contrat à aliment ou, au contraire, d’une police à abonnement dont l’objet et la vocation sont de couvrir l’ensemble des activités de l’assuré pour l’exercice (12) ? Même si les contrats de la MAF empruntent certains traits à des contrats à aliment (13), précisément parce qu’ils entendent conditionner la garantie à la déclaration de chaque chantier, plusieurs autres éléments ne laissent guère planer de doute sur la qualification de contrat à abonnement :

  • la garantie est acquise bien avant que l’obligation de déclaration ne pèse sur l’assuré, puisque durant toute la phase de conception de l’ouvrage et jusqu’au 31 mars de l’année suivant celle où le chantier a été ouvert, l’architecte est assuré sans avoir déclaré les chantiers concernés ;
  • la prime est calculée globalement et appelée pour l’année sous la forme d’une provision et d’une révision ;
  • des attestations sont délivrées par l’assureur chaque année ;
  • plus fondamentalement, l’objet du contrat est bien de garantir l’ensemble des responsabilités professionnelles engagées par l’assuré, ce qui, au demeurant, correspond à l’obligation d’assurance propre aux architectes (14).

Pour ces raisons, nous rejoignons les auteurs qui estiment que l’application de la règle proportionnelle, en ne prenant en compte que les seuls montants de primes afférents au chantier litigieux, constitue un dévoiement de l’application normale du texte (15).

Une réduction en fonction de la prime calculée ou en fonction du taux des primes ?

Même si l’on admet que la comparaison entre ce qui a été payé et ce qui aurait dû l’être doit porter sur l’activité annuelle de l’assuré et non sur le seul chantier litigieux, il reste que l’article L. 113-9 du code des assurances ne vise pas la prime, mais bien le taux des primes. On sent bien d’ailleurs un malaise dans la rédaction des arrêts de la Cour de cassation à cet égard, certains attendus de principe reproduisant scrupuleusement la formule de l’article L. 113-9 en se référant au taux des primes, d’autres plus simplement à la prime.

Pourtant, le taux de prime, défini sans ambiguïté par le contrat, n’a évidemment pas vocation à changer avec chaque déclaration de mission. Tout au contraire, le rôle du taux, par hypothèse fixe, est de permettre l’adaptation de la prime finale aux montants déclarés par l’assuré. Faudrait-il en déduire que la réduction proportionnelle se trouve, de ce fait, neutralisée ?

En réalité, l’article L. 113-9 du code des assurances édicte des sanctions adaptées à un défaut dans la déclaration d’une aggravation du risque, qui peut naturellement se traduire par une modification du taux contractuel. En revanche, son mécanisme est totalement inapproprié dans l’hypothèse, fort différente, d’une non-déclaration de mission à l’occasion de la régularisation annuelle et du calcul de la prime de révision. On le voit, aucune des trois interprétations envisageables de l’article L. 113-9, aucune des trois modalités possibles de calcul de la réduction proportionnelle (en fonction du taux de prime, en fonction de la prime afférente au chantier ou en fonction de la prime annuelle) n’est alors satisfaisante.

Pour en revenir à la solution retenue par l’arrêt, il faut noter qu’elle se traduirait, si elle devait être confirmée et généralisée, par des résultats étonnants et une grande insécurité juridique. La réduction proportionnelle étant en principe opposable aux tiers victimes (16), on pense en particulier au cas du maître d’ouvrage qui a fait appel à un architecte en le croyant correctement assuré et se verrait opposer une réduction proportionnelle de son indemnité… en raison d’un défaut de déclaration au titre d’un autre chantier !

Comment sortir de cette impasse ?

La seule issue semble bien de faire marche arrière et de remettre en cause, comme le souhaite une large partie de la doctrine depuis longtemps déjà (17), l’application même de la réduction proportionnelle et de l’article L. 113-9 dans l’hypothèse d’un défaut de déclaration de mission.

Le maintien d’une application contestable de l’article L. 113-9

Selon l’article L. 113-10 du code des assurances, qui régit les assurances à prime variable : « Dans les assurances où la prime est décomptée […] en raison des choses faisant l’objet du contrat, il peut être stipulé que, pour toute erreur ou omission dans les déclarations servant de base à la fixation de la prime l’assuré doit payer, outre le montant de la prime, une indemnité qui ne peut en aucun cas excéder 50 % de la prime omise. / Il peut être également stipulé que lorsque les erreurs ou omissions ont, par leur nature, leur importance ou leur répétition, un caractère frauduleux, l’assureur est en droit de répéter les sinistres payés, et ce indépendamment du paiement de l’indemnité ci-dessus prévue. »

Ce régime de sanctions vient se substituer à celui fixé par les articles L. 113-8 (réticence ou fausse déclaration intentionnelle) et L. 113-9 (omission ou déclaration inexacte de la part de l’assuré dont la mauvaise foi n’est pas établie) dans le cas des assurances à prime variable.

Il ne fait aucun doute que les contrats d’assurance délivrés aux architectes sur une base annuelle, comme d’ailleurs ceux dont bénéficient les autres intervenants à l’acte de construire, font partie des assurances à primes variable set ont donc a priori vocation à relever du seul article L. 113-10.

La difficulté tient au fait que cette disposition est mentionnée parmi celles qui « peuvent être modifiées par convention » dans l’article L. 111-2 du code des assurances.

La Cour de cassation en déduit aujourd’hui, à l’encontre de ce qu’elle a longtemps admis et du souhait de la doctrine (18), que la liberté laissée aux contractants peut non seulement porter sur l’utilisation des facultés prévues par les deux alinéas de l’article L. 113-10, mais aussi s’étendre à la possibilité d’écarter purement et simplement le texte pour lui préférer le système de sanctions des articles L. 113-8 et L. 113-9 du code des assurances.

L’arrêt rapporté illustre à la fois les inconvénients majeurs qu’emporte la possible mise à l’écart de l’article L. 113-10 et la volonté de la Cour de cassation de continuer d’appliquer la réduction proportionnelle dès lors qu’une clause contractuelle s’y réfère.

C’est en effet au visa de l’article L. 113-9 que la Cour affirme que l’indemnité due au tiers lésé ne peut se calculer d’après le rapport entre les cotisations payées pour la mission inexactement déclarée et les cotisations qui auraient dû être payées pour cette mission.

Faut-il y voir l’amorce d’une distinction entre les droits de l’assuré et ceux du tiers lésé alors que, jusqu’à présent, la jurisprudence a toujours considéré la réduction proportionnelle comme opposable ?

Pour notre part, il nous semble qu’une telle distinction compliquerait encore un droit positif qui, de toute évidence, a le plus grand besoin, au contraire, d’être simplifié.

À cet égard, un constat s’impose : c’est la mise en oeuvre d’une clause contractuelle dont l’objet est d’écarter l’article L. 113-10 en cas de non-déclaration d’un chantier – et de réintroduire l’article L. 113-9 dont on a vu qu’il était totalement inapproprié – qui explique l’abondance du contentieux au cours des dernières années et les hésitations, voire les contradictions de la jurisprudence.

Or, compte tenu de la condamnation par l’arrêt commenté d’une réduction proportionnelle calculée au titre de la seule mission concernée, la clause contractuelle qui est à l’origine des difficultés rencontrées ne peut plus recevoir application. Notons d’ailleurs que cette même clause dispose également que la déclaration du chantier constitue une condition de la garantie, qualification à notre sens totalement contestable, en particulier en présence d’une assurance obligatoire, et qui est désormais incompatible avec la réduction proportionnelle puisqu’elle n’aboutit pas au même résultat. C’est la remise en cause de ce qu’un auteur (19) avait à juste titre nommé la « fusion des motifs antérieurs » opérée par l’arrêt du 27 juin 2019 (20).

N’est-il pas temps de revenir au droit commun des assurances à prime variable, c’est-à-dire à l’article L. 113-10 du code des assurances ?

Jean Roussel
Président Directeur Général du Groupe CEA


Source : https://www.dalloz-revues.fr/RDI-cover-90134.htm
Le PDF de l’article à télécharger : RDI7-8-2020-09



(1) Not. D. Noguéro, La sanction de non-assurance de la déclaration de mission érigée en condition de la garantie, RDI 2020. 402 ; C. Charbonneau, Modalités déclaratives spécifiques de polices de maîtrise d’oeuvre, bilan et perspectives, RDI 2021. 8 ; P. Dessuet, Police RC architecte : non-assurance en cas de non déclaration de chantier : oui, mais…, RDI 2020. 612 ; J.-P. Karila, Risque garanti et déclaration du chantier de construction et/ou de la mission confiée à l’assuré, RGDA 2019. 116 ; Id., Brève mise au point sur l’état du droit positif relatif à la sanction attachée à l’absence de déclaration d’une mission/chantier de l’architecte à l’assureur qui garantit sa responsabilité, RGDA 2020. 117.
(2) Civ. 3e, 27 juin 2019, n° 17-28.872, D. 2019. 1389 ; RDI 2019. 467, obs. P. Dessuet ; RGDA 2019. 116, note P. Dessuet.
(3) FS+P+B+R+I.
(4) V. les comm. doctrinaux et la jurisprudence qui a suivi, not. : Civ. 3e, 1er oct. 2020, n° 18-20.809, D. 2020. 1952 ; RGDA nov. 2020, 117×3, p. 33 ; RCA 2020. Étude 11.
(5) Un arr. inédit (Civ. 3e, 5 déc. 2019, nos 18-21.679 et 18-22.915 ; RGDA janv. 2020, 117b8, p. 62, note J. Kullmann ; RGDA janv. 2020, 117b1, p. 49, note J.-P. Karila) a utilisé le même attendu que l’arrêt commenté (réduction en proportion du taux de la prime annuelle), mais il ne s’agissait pas du même assureur et la rédaction du contrat litigieux était différente.
(6) V. Civ. 2e, 26 nov. 2020, no 8-10.190 ; RGDA janv. 2021, 118c6, p. 40, note P. Dessuet ; ibid., 118c5, p. 47, note J.-P. Karila.
(7) V. Civ. 3e, 1er oct. 2020, n° 19-18.165, D. 2020. 1952 ; RDI 2020. 612, obs. P. Dessuet ; RGDA nov. 2020, no 117×3, p. 33, note J.-P. Karila. – Sur l’obiter dictum contenu dans cet arrêt : C. Charbonneau, préc. ; Civ. 3e, 26 nov. 2020, no 19-20.251 ; RGDA janv. 2021, 118a8, p. 45, note P. Dessuet ; RGDA, 118c5, p. 47, note J.-P. Karila
(8) J. Bigot, Assurances à primes et risques variables : fausse route ?, JCP 2008. I. 208.
(9) Civ. 1re, 24 juin 2003, n° 98-13.334, RDI 2004. 66, obs. P. Dessuet.
(10) Civ. 2e, 17 avr. 2008, n° 07-13.053, D. 2008. 2373, chron. J.-M. Sommer et C. Nicoletis ; RDI 2008. 351, obs. P. Dessuet ; RCA 2008. Comm. 245.
(11) Civ. 3e, 2 déc. 2009, no 08-17.619.
(12) Pour une présentation de la distinction, v. J. Roussel et S. Becqué-Ickowicz, Risques et assurances construction, 4e éd., L’Argus, 2021, p. 467.
(13) C. Charbonneau, préc.
(14) L. no 77-2, 3 janv. 1977, art. 16.
(15) P. Dessuet, Police RC architecte, préc. ; v. égal. D. Noguéro, La sanction de non-assurance de la déclaration de mission érigée en condition de la garantie, précit., qui souligne que la conformité à la disposition d’ordre public est hautement douteuse.
(16) Civ. 1re, 6 déc. 1994, n° 91-20.753, RDI 1995. 350, obs. G. Leguay et P. Dubois ; ibid. 1996. 84, obs. G. Leguay ; RGAT 1994. 1105, note J. Bigot ; pour un rappel récent : Civ. 3e, 1er oct. 2020, no 18-20.809, préc.
(17) V. les impressionnantes références doctrinales citées par P. Dessuet, RDI 2020. 613.
(18) J. Kullmann, in J. Bigot (dir.), Traité de droit des assurances, tome 3, 2e éd., LGDJ, 2014, no 1387 s.
(19) C. Charbonneau, préc.
(20) V. note 2.